Monsieur le Premier Ministre,
Membres de la famille Rocher,
Chers amis,
C’est un jour de deuil pour une nation qui perd un homme immense, et pour une communauté universitaire qui perd l’un de ses membres les plus éminents.
On dira de lui qu’il fut le père de la sociologie au Québec, l’un des derniers géants de la Révolution tranquille — et ce sera vrai. Mais je crois qu’au plus profond de lui-même, Guy Rocher était avant tout un professeur.
À l’occasion du 60ᵉ anniversaire du Centre de recherche en droit public, dont il fut un pilier, il nous avait confié que le plus grand privilège de son appartenance au Centre avait été de pouvoir rester à l’Université de Montréal jusqu’à l’âge de 85 ans. Il y a reçu, jusqu’à son décès, autant d’admiration que d’amitié.
Il faut rappeler que Guy Rocher a été un enseignant extraordinaire, qui remplissait les amphithéâtres de l’Université de Montréal dans les années 1960 et qui — chose extrêmement rare — recevait des applaudissements à la fin de ses cours.
Pour les professeurs de nos cégeps, de nos universités, et pour bien d’autres encore, Guy Rocher restera un phare. J’évoque ici le rapport Parent, où l’on pouvait lire, dans des mots qui ne pouvaient venir que de sa plume, que « le professeur d’université, jamais tout à fait sûr de posséder toutes les connaissances voulues, se doit d’être curieux, toujours en train d’apprendre, incertain et modeste. » Guy Rocher valorisait l’imagination créative et réprouvait la pédanterie. Il incarnait l’idéal de l’intellectuel dans la Cité : passionné par la connaissance et par les gens, attentif à la relève, courageux dans la défense de ses idées, engagé dans la chose publique, capable de relier la pensée à l’action.
Le privilège d’un professeur est de changer des vies. Guy Rocher aura inspiré plusieurs générations d’étudiantes et d’étudiants, dont beaucoup sont devenus sociologues. Mais en mettant son intelligence au service de la cause publique, à une époque où tout était à repenser dans le domaine de l’éducation, il n’a pas seulement changé des vies : il a changé nos vies. C’est l’histoire contemporaine du Québec qu’il a transformée.
J’ai complété mes études secondaires à Saint-Hubert, à la polyvalente Mgr A.-M. Parent. J’ai eu plus tard le privilège d’étudier à l’Université de Montréal, un cadeau qui n’avait pas été offert à mon père ni à ma mère. Je suis donc, à plus d’un titre, un enfant du rapport Parent — comme la plupart d’entre vous.
Guy Rocher disait que c’était un document révolutionnaire, et il avait raison. En ouvrant ses collèges et ses universités à tous ceux et celles qui, comme moi, comme vous, avaient le désir et le talent d’y venir, sans égard à leur origine sociale ou culturelle, le Québec s’est donné les outils de son émancipation et de sa modernité.
L’Université de Montréal et le Québec tout entier vous disent merci, Monsieur Rocher. Merci pour l’immense héritage que vous laissez en partage à la société québécoise et qui éclairera pour longtemps notre avenir.