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Université de Montréal

Déclaration annuelle du recteur 2023

Le 6 novembre 2023, le recteur Daniel Jutras s’est adressé aux membres de l’Assemblée universitaire à l’occasion de sa déclaration annuelle.

Le :
Dans : Allocution

Chères et chers membres de l’Assemblée universitaire,

 

Je suis reconnaissant de cette occasion qui m’est donnée de vous présenter ma réflexion sur l’état de notre université pour l’année 2023-2024 et de vous parler des projets que nous devons mettre en œuvre afin de poursuivre notre développement et atteindre de nouveaux sommets.

 

Ceux et celles qui sont attentifs à ce qui se passe autour de nous seront d’accord avec moi. Le monde a plus que jamais besoin des universités. Le monde a besoin de science, de perspective historique, de pensée critique, de lieux de dialogue et de débats sereins, de création et d’imagination. Le monde a besoin des nouvelles générations qui s’épanouissent chez nous et de leurs idées porteuses qui réinventeront la matière, les objets, les arts et les écosystèmes ainsi que les interactions humaines, politiques, sociales et économiques.

 

Le monde a besoin de nous, même s’il n’en prend pas toujours pleinement conscience. Les ressources qui permettent aux universités de s’acquitter de leur mission ne sont pas toujours au rendez-vous. À l’heure qu’il est, nous continuons de plaider auprès des autorités fédérale et provinciale pour des réinvestissements majeurs en recherche, pour un meilleur soutien financier pour nos étudiants et nos étudiantes, particulièrement aux cycles supérieurs, et pour une formule de financement qui ramène les universités québécoises là où elles devraient être sur le plan budgétaire.

 

J’ai confiance que nous tirerons notre épingle du jeu. Il suffit, pour s’en convaincre, de prendre quelques pas de recul. L’occasion m’en a été fournie il y a quelques semaines sous la forme de l’excellent ouvrage de la professeure émérite Micheline Cambron et de Daniel Poitras récemment paru aux PUM, L’Université de Montréal : une histoire urbaine et internationale.

 

C’est l’histoire de notre communauté qui est racontée dans ce livre. Une communauté qui, en presque 150 ans d’existence, a toujours fait preuve de dynamisme, d’engagement social, d’ouverture, de vision et de résilience. Cette communauté s’est démenée pour démocratiser la connaissance et l’accès à l’enseignement supérieur bien avant la Révolution tranquille. Elle a introduit plusieurs innovations au Québec, dont les premiers vaccins. Elle a construit de toutes pièces les réseaux internationaux qui ont porté la science en français sur la scène internationale. Elle est montée au front d’une terrible épidémie de variole et de deux pandémies. Elle a largement contribué à faire de Montréal aussi bien un terreau de l’innovation qu’une scène culturelle unique dans le monde. Au fil des pages, on redécouvre, avec fierté, une université qui a participé activement à l’essor du Québec tout en se renouvelant elle-même pour s’inscrire dans son temps.

 

Le livre se termine pendant la pandémie de COVID-19 et nous sommes déjà en train d’en écrire le prochain chapitre. En appui à la société québécoise qui encaisse les contrecoups de la pandémie, nous avons entrepris un effort sans précédent pour juguler les pénuries de main-d’œuvre en santé et en éducation. Hausse des cohortes en médecine, microprogramme pour l’intégration en sciences infirmières, grades qualifiants et voie rapide en sciences de l’éducation, formation décentralisée en médecine vétérinaire à Rimouski et en physiothérapie à Trois-Rivières : voilà une illustration de notre capacité de réaction pour répondre à des besoins en formation de plus en plus criants.

 

Devant l’urgence climatique, nous prenons nos responsabilités. En plus de notre engagement à retirer du Fonds de dotation de l’Université les actions cotées en Bourse de compagnies actives dans le secteur des énergies fossiles, nous nous sommes dotés d’un plan crédible de diminution des émissions de gaz à effet de serre sur nos campus. Des efforts immédiats nous permettront de réduire nos émissions de 20 % en 2025, un premier palier vers l’atteinte de la carboneutralité à l’horizon de 2040. Il y a encore beaucoup à faire en matière de développement durable, mais il est réjouissant de constater le large rayon d’action de la communauté universitaire. Nous nous engageons dans la recherche sur la réduction des déchets alimentaires ou les enjeux ESG en finance, adoptons la collecte des matières compostables, mobilisons nos partenaires pour aménager le corridor écologique Darlington et remportons en chemin des honneurs comme le prix Leaders en mobilité durable 2023.

 

Parce que nous croyons que chaque personne doit pouvoir se reconnaître et s’épanouir dans son parcours éducatif, nous poursuivons le processus d’ouverture et d’inclusion que nous avons entrepris en 2020 avec nos plans d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion et de relations avec les Premiers Peuples. J’en profite pour saluer l’arrivée d’une vice-rectrice associée aux relations avec les Premiers Peuples et la nomination à ce poste de la professeure Annie Pullen Sansfaçon, qui devient la première personne autochtone à intégrer la haute direction de l’Université.

 

Enfin, pour former les professionnels, créateurs, chercheurs et citoyens de demain, nous nous sommes engagés dans la voie de l’enrichissement des parcours universitaires. Quelques initiatives sont déjà en cours et nous continuerons d’offrir des avenues qui sortent l’étudiant ou l’étudiante de son silo disciplinaire et qui misent sur la pensée critique, l’engagement social, l’entrepreneuriat, la recherche et la création et la mobilité internationale. Nous avons d’ailleurs présenté nos nouveaux parcours personnalisés RECI aux portes ouvertes de l’Université cet automne.

 

Cette marche vers le renouveau pédagogique s’accompagne d’un effort collectif pour améliorer nos milieux d’études, de recherche et de vie. Vous le savez, vous le vivez : le campus de la montagne est en chantier. Même si nous faisons tout en notre pouvoir pour limiter les désagréments, nous devons composer avec le bruit, la poussière et les entraves à la circulation.

 

Je suis conscient que la situation est loin d’être optimale pour un lieu voué à l’enseignement et à la recherche et je remercie de leur patience les membres de la communauté universitaire qui subissent au quotidien les inconvénients des travaux. Mais cela en vaut vraiment la peine et les travaux auront une fin. À partir de 2026, nous profiterons de laboratoires plus performants, de salles de cours renouvelées, d’aires de vie étudiante plus conviviales, d’un nouveau centre de la petite enfance, d’une empreinte carbone réduite et de lieux plus accessibles à tous et à toutes.

 

***

 

Depuis mon arrivée à l’UdeM, il y a trois ans, j’ai souvent parlé de l’importance que revêt l’enseignement dans la mission de notre université. Je suis profondément convaincu que nos étudiantes et nos étudiants méritent ce qu’il y a de mieux à ce chapitre; convaincu que nous devons maintenir nos efforts pour leur offrir une expérience de classe mondiale dans tous les lieux d’apprentissage, convaincu que nous devons continuer d’innover dans l’élaboration de programmes pertinents qui redessinent les frontières disciplinaires; profondément convaincu aussi que nous avons fait le bon choix en abordant la formation à distance de manière nuancée, en exprimant notre détermination à ne pas dématérialiser l’université. Le travail se poursuit sur ce terrain.

 

Mais aujourd’hui, j’aimerais amorcer avec vous une discussion sur la recherche. Le plan stratégique que nous avons adopté ensemble affirme notre volonté de devenir l’université de langue française la plus influente dans le monde. Indubitablement, la recherche constitue et constituera toujours l’un des premiers vecteurs de notre influence. L’équation est simple : pour accroître sa capacité d’agir sur le monde, pour devenir une université d’influence et servir le bien commun à la hauteur de ses capacités, l’Université de Montréal doit se maintenir dans le peloton de tête des grandes universités de recherche. Nous y arriverons si chaque membre de notre communauté s’inscrit dans une culture d’excellence et du dépassement de soi. Et nous y parviendrons si nous en faisons un projet véritablement collectif et collaboratif.

 

Y sommes-nous déjà? L’Université de Montréal est-elle, en 2023, une grande université de recherche?

 

La réponse semble évidente. Au premier regard, nos succès éclatants des derniers mois témoignent que l’Université est, au sens fort, une université de recherche. Nous connaitrons bientôt les résultats du dernier concours du Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada. Ce programme, le plus prestigieux des trois conseils subventionnaires, vise à recruter au Canada des chercheuses et chercheurs œuvrant à l’international et reconnus pour la qualité exceptionnelle de leur programme de recherche. J’ai bon espoir que l’Université de Montréal se distinguera encore à ce concours. Autre exemple : en avril dernier, nous avons obtenu la mère de toutes les subventions scientifiques canadiennes, soit 124,5 M$ du Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada, pour la mise en œuvre du programme en intelligence artificielle IAR3. C’est la plus importante subvention de l’histoire de l’Université de Montréal. Elle soutient déjà un vaste programme de recherche collaboratif qui est piloté par IVADO et qui confirme la position centrale de l’Université dans l’écosystème de l’intelligence artificielle. En 2022, c’est l’Institut Courtois que nous avons créé grâce à un don de 159 M$ de la Fondation Courtois, le plus généreux jamais versé au pays pour la recherche en sciences naturelles.

 

Il n’est donc pas étonnant que notre université se classe au quatrième rang des établissements universitaires de recherche canadiens sur la base de revenus de recherche annuels de 682 M$, en considérant l’apport de nos écoles affiliées Polytechnique Montréal et HEC Montréal. Nous nous démarquons aussi parmi les universités francophones dans tous les grands classements internationaux, qui sont en bonne partie établis selon des performances en recherche.

 

Maintenant, est-ce que cela suffit pour être une grande université de recherche?

 

Je ne doute pas que la quête du savoir et la passion de la découverte animent chaque membre de notre communauté. Mais cet amour du savoir se traduit-il par une réelle culture de la recherche partout à l’Université de Montréal, dans tous les aspects de sa mission? La recherche percole-t-elle comme elle le devrait dans ce que nous enseignons au premier cycle? Transmettons-nous la passion de la recherche à nos étudiants et étudiantes? Et si nous ne pouvons répondre par un oui affirmé et confiant à toutes ces questions, quelle démarche pouvons-nous mettre en œuvre pour implanter au sein de notre communauté une véritable culture de la recherche?

 

D’abord, je l’ai déjà dit dans d’autres forums, je crois qu’il faut faire de la recherche un signe distinctif de l’expérience d’études à l’Université de Montréal. Vous me direz qu’avec plus du quart de nos étudiantes et étudiants inscrits aux cycles supérieurs, l’une des proportions les plus élevées au Canada, c’est déjà le cas. Mais dans une grande université de recherche, c’est l’ensemble des étudiantes et des étudiants, y compris du premier cycle, qui devraient être exposés aux réalités de la recherche et aux nouvelles idées qui en émergent. Toute personne devrait dans son baccalauréat vivre au moins une véritable expérience de recherche. Si nous voulons susciter des vocations, notre population étudiante du baccalauréat doit au moins goûter au sel de la recherche.

 

La recherche est une activité foncièrement internationale et le parcours de formation aux cycles supérieurs devrait l’être tout autant. Nous sommes l’Université de Montréal et du monde; fréquenter notre établissement doit devenir synonyme de fréquenter le monde. Cela veut dire multiplier les contacts avec des collègues étudiants et des professeurs de l’extérieur du pays; inscrire nos étudiants et étudiantes dans les grands réseaux universitaires par l’entremise de cotutelles de thèse, de stages ou de séjours d’études et de recherche à l’étranger; organiser sur nos campus des conférences d’envergure, quitte à les assortir d’une participation virtuelle pour réduire notre empreinte carbone. Les nouvelles unités que nous avons créées cette année, UdeM international et UdeM français, nous accompagneront dans cet essor vers l’international et l’intégration des étudiants-chercheurs et des étudiantes-chercheuses allophones.

 

Au-delà des mesures que nous pouvons appliquer sur nos campus, il est primordial que l’Université se fasse voir et entendre dans les grands forums de la recherche. Nous continuerons d’occuper les terrains sur lesquels l’Université peut assumer un leadership. La science en français, les libertés universitaires, la responsabilité en recherche, l’équité en recherche, l’accès libre aux publications savantes, la recherche-création, l’approche Une seule santé et l’intelligence artificielle responsable au service du bien commun sont autant de thèmes qui suscitent un intérêt autour de l’Université, des thèmes qui font appel à nos forces et sur lesquels nous avons des expériences à partager.

 

Ces démarches que je viens d’énumérer ont toutefois leurs limites. Nous ne pouvons pas tout régler à l’échelle institutionnelle. Une part de la responsabilité liée à l’instauration d’une véritable culture de la recherche incombe aux membres de nos communautés professorale, étudiante et postdoctorante et au personnel hautement qualifié d’une part sur le plan individuel et d’autre part de façon collective pour en faire un projet collaboratif.

 

À l’échelon individuel et des équipes, je pense en particulier aux demandes de subvention. Je sais bien que le nombre de demandes de subvention rejetées en décourage parfois plus d’un de participer aux concours des conseils subventionnaires. Et que la présentation d’une demande n’est pas une sinécure. Nous savons aussi que le Canada est à la traîne dans le financement de la recherche, comme l’a redit avec force le doyen Frédéric Bouchard dans son Rapport du Comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche. Tout cela n’incite guère à répondre présent quand s’ouvrent les concours subventionnaires.

 

L’équipe de direction est à regarder de près les données sur les demandes de subvention et nous poursuivrons ce travail dans les prochains mois avec les équipes décanales. Deux constats généraux semblent toutefois se dégager des premières analyses et mériteront d’être creusés.

 

Premier constat : le nombre de demandes de subvention soumises aux grands conseils subventionnaires fédéraux par nos professeurs et professeures est en diminution.

 

Deuxième constat : le taux de succès de nos demandes de subvention est bon. Pour certains concours, il est même meilleur que les résultats pancanadiens. L’excellence de nos chercheurs et chercheuses n’est pas en cause. Un nombre moindre de demandes de subvention signifie toutefois moins de subventions pour l’Université. Le résultat est que la part globale du financement de la recherche dans notre université diminue par rapport aux autres universités canadiennes.

 

J’en conclus que nous avons des occasions à saisir pour enrichir le savoir avec notre regard distinctif sur le monde. Il y a là un réel potentiel de développement pour l’Université. La recherche financée engendre un cercle vertueux au sein d’une université. Les retombées se calculent en publications scientifiques, en citations par les pairs, en colloques, en congrès, en invitations à participer à des groupes de recherche, en visibilité pour un département. Au final, on obtient des gains d’influence pour l’établissement. Plus de financement, c’est plus de notoriété pour nos chercheurs et chercheuses. Plus de financement, c’est l’assurance d’avoir des champions et championnes de la recherche qui sont en mesure de porter des projets interdisciplinaires structurants pour l’ensemble de notre université. Plus de financement, c’est la promesse de mobiliser les travaux de nos chercheurs et chercheuses au service de l’humanité. Plus de financement, enfin, c’est un moyen sûr et efficace de renforcer notre capacité d’attirer et de retenir des étudiantes et étudiants aux cycles supérieurs. Et de consolider, pour l’avenir, leur propre capacité de contribuer à la recherche, à la création et à la découverte.

 

Personne ne devrait être laissé à lui-même dans cet effort d’accroissement des ressources nécessaires pour faire avancer la recherche. À l’échelle facultaire ainsi qu’au Bureau Recherche-Développement-Valorisation, des équipes se mettent au service des chercheurs et chercheuses. Le Bureau est là pour vous aider à trouver les sources de financement et pour vous conseiller dans la rédaction des demandes. Son fonctionnement a été révisé pour s’assurer que toutes les équipes de recherche, de la plus modeste à la plus vaste, reçoivent l’attention requise pour l’élaboration du meilleur programme de recherche. En recherche, chaque succès compte et c’est la somme de tous nos efforts et de toutes nos découvertes, grandes et petites, qui déterminera notre influence positive sur le monde. Et si vous remportez un concours, le Bureau vous accompagnera dans l’administration des sommes accordées. Mais au-delà de ces structures établies, une culture collaborative de la recherche doit se manifester aussi dans le mentorat, dans la générosité des collègues qui lisent les demandes de subvention avec un œil critique, dans les discussions animées autour d’un lunch départemental à propos des projets en développement, dans la volonté manifeste de s’entraider pour porter toutes les carrières à l’échelon supérieur, cet échelon où les chercheurs et chercheuses définissent les contours de leur discipline dans le dialogue planétaire.

 

***

 

Le financement de la recherche et des études supérieures est un vecteur essentiel, mais il y a aussi d’autres fronts sur lesquels nous devrons agir pour maintenir l’UdeM dans le peloton de tête des grandes universités de recherche. Il faudra par exemple s’intéresser à la persévérance et à la durée des études à tous les cycles; optimiser nos plateformes de recherche; continuer de soutenir la diffusion de la science en français; aplanir les obstacles bureaucratiques et chronophages; s’assurer que les chercheurs et chercheuses portent fièrement et explicitement leur affiliation à l’Université de Montréal, partout et toujours.

 

Mais on en reviendra toujours à ce constat : dans une grande université de recherche, chaque personne, qu’elle soit professeure, étudiante, membre du personnel de recherche ou de soutien, s’inscrit dans une culture du dépassement, individuel et collectif, animée par la passion.

 

C’est dans cette passion pour le savoir, cette passion pour la recherche qu’une université aux débuts modestes a puisé l’énergie nécessaire pour devenir la plus grande université de langue française en Amérique. Nous sommes héritiers et héritières d’une communauté savante qui a répertorié la flore laurentienne, découvert les mécanismes du stress, mis au point le premier traitement de la maladie de Parkinson et publié ce qui est considéré comme le plus important recueil de poésie de l’après-guerre, L'homme rapaillé, de Gaston Miron. Plus récemment, notre communauté a donné au monde les premières images d’exoplanètes, la cryptographie quantique, de nouvelles traductions de Platon, l’apprentissage profond et tant d’autres découvertes, tant d’autres idées, tant d’autres solutions innovantes et analyses éclairantes.

 

J’en appelle à cet héritage.

 

À nous maintenant de faire en sorte que ce trait identitaire de l’Université de Montréal devienne manifeste au sein de toutes les équipes et à tous les cycles d’apprentissage. À nous de faire de notre établissement un modèle de grande université de recherche innovante, créative, francophone et engagée tant à l’échelle locale qu’à l’échelle internationale.

 

Je vous remercie pour votre attention.